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Décortiquons l’Accord de Kunming-Montréal sur la biodiversité : Identifier les principales avancées et les mettre à profit

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En décembre 2022, la Conférence des parties à la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique (CDB) a conclu un nouvel accord mondial sur la biodiversité appelé Cadre Mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal. Le texte a été négocié pendant quatre ans et montre des changements potentiellement transformateurs dans l’approche de l’élaboration de politiques environnementales. Il marque une étape importante dans l’action mondiale face aux taux croissants de perte de biodiversité et comprend l’adoption d’un cadre de surveillance et de mécanismes de planification, d’établissement de rapports et d’examen.

Un changement fondamental dans la reconnaissance des droits humains

Le texte d’introduction à l’accord (intitulé « considérations relatives à la mise en œuvre du cadre ») engage l’ensemble des acteurs à mettre le cadre en œuvre suivant une approche fondée sur les droits humains.[1] C’est là un changement fondamental dans les engagements pris au titre du droit international de l’environnement, reconnaissant la relation intrinsèque entre la réalisation des droits humains et une intervention efficace face à la crise de la biodiversité. Avec ce nouvel engagement en faveur de l'équité[2] intergénérationnelle, cet accord reconnaît la responsabilité que nous avons tous et toutes au nom des générations futures sur cette terre de remédier maintenant à la perte de biodiversité. Il reconnaît aussi directement et sans équivoque les contributions apportées depuis des générations par les peuples autochtones et les communautés locales au maintien et à la gestion de la biodiversité sur leurs territoires et l’importance du respect des droits fondamentaux qui sont à la base de ces contributions[3].

L’accord de Kunming-Montréal faisait partie d’une série de décisions prises par la Conférence des parties à la CDB pendant sa 15ème session (CdP15) à Montréal, Canada. Le texte a été élaboré au cours de cinq réunions des équipes de négociation au sein du Groupe de travail à composition non limitée sur le cadre mondial de la biodiversité pour l'après-2020 (comme il était précédemment appelé). La participation active et influente du Forum international autochtone sur la biodiversité (FIAB) a été importante tout au long des négociations et le texte final traduit un grand nombre (mais pas la totalité) des priorités exprimées par celui-ci. Une participation similaire de la part du caucus des jeunes, grâce au travail acharné du Réseau mondial des jeunes pour la biodiversité, et du caucus des femmes, par l’entremise de Women4biodiversity, et d’autres groupes de défense des droits humains, notamment le Groupe de travail sur les droits humains et la biodiversité, a permis de faire en sorte qu’une meilleure attention soit portée aux droits humains.

Pour traduire le cadre en politiques et en actions nationales et locales, quatre grands objectifs et 23 cibles ont été définis. Ceux-ci serviront à surveiller les progrès accomplis une fois que les indicateurs de réussite auront été établis. Les objectifs sont les suivants :

  • Objectif A : Réduction des menaces pesant sur la biodiversité
  • Objectif B : Utilisation durable de la biodiversité et valorisation de ses contributions aux populations
  • Objectif C : Partage des avantages découlant de l’utilisation de ressources génétiques de la biodiversité et des connaissances traditionnelles qui y sont liées
  • Objectif D : Ressources nécessaires à la mise en œuvre du cadre

Seul l’objectif C fait directement référence aux peuples autochtones et aux communautés locales dans le contexte de l’accès aux ressources génétiques et aux connaissances traditionnelles qui y sont liées et du partage équitable des avantages. Cependant, tous les objectifs concernent des actions qui touchent les droits humains et en dépendent fondamentalement.

Plusieurs cibles mentionnent expressément les droits

C’est dans les cibles que les droits humains, et plus précisément les droits collectifs des peuples autochtones et des communautés locales, sont plus particulièrement mentionnés et que certaines des avancées les plus importantes en matière de droits humains peuvent être vues. La mention de droits dans toutes les cibles traduit la reconnaissance de l’interdépendance entre la biodiversité et les droits humains, faisant de la promotion des droits humains un outil d’action environnementale. Le travail acharné de plusieurs dirigeant-e-s autochtones et communautaires tout au long des années de négociation se reflète dans l’intérêt et l’attention accordés à ces droits dans le texte final.

Parmi les cibles qui font expressément mention de droits humains, se trouvent les suivantes :

  • Cible 1 : concernant la planification spatiale et la gestion efficace « tout en respectant les droits des peuples autochtones et des communautés locales »
  • Cible 3 : concernant la conservation « en reconnaissant et en respectant les droits des peuples autochtones et des communautés locales, y compris sur leurs territoires traditionnels » et en faisant en sorte que tous les systèmes d’aires protégées et de conservation soient « gérés de manière équitable »
  • Cible 5 : concernant l’utilisation, la récolte et le commerce des espèces sauvages et la prévention de la surexploitation tout « en respectant et en protégeant l'utilisation durable coutumière par les peuples autochtones et les communautés locales »
  • Cible 9 : concernant l’utilisation et la gestion durables des espèces sauvages tout « en protégeant et en encourageant l'utilisation durable coutumière par les populations autochtones et les communautés locales »
  • Cible 21 : concernant l’utilisation des meilleures connaissances disponibles, reconnaissant que « les connaissances, innovations, pratiques et technologies traditionnelles des peuples autochtones et des communautés locales ne devraient être accessibles qu'avec leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause »
  • Cible 22 : visant à assurer la représentation et la participation à la prise de décisions, l’accès à la justice et à l’information, le respect de la culture et des droits sur les terres, territoires et ressources des peuples autochtones et des communautés locales, le respect des mêmes droits pour les femmes et les filles, les enfants et les jeunes et les personnes handicapées, et la pleine protection des défenseur-e-s des droits humains en matière d’environnement
  • Cible 23 : visant à assurer l’égalité des sexes

Les lacunes du cadre

Malgré ces avancées importantes et révolutionnaires pour ce qui est des dispositions relatives aux droits humains dans un accord environnemental, et l’acceptation implicite des liens existant entre les droits humains et la biodiversité, le cadre présente encore d’importantes lacunes. L’un des motifs de préoccupation tient au manque d’attention portée aux moyens de faire face aux moteurs directs et indirects de la perte de biodiversité, notamment à l’approche prise concernant la réglementation des impacts des entreprises sur la biodiversité :

La cible 15, qui porte sur les dépendances des entreprises et des institutions financières et de leurs impacts sur la biodiversité, n’exige pas de règlementation des entreprises et ne fait qu’encourager une évaluation et une divulgation volontaires des risques.

Les cibles 18 et 19 portent sur le financement, la cible 18 engageant à identifier et éliminer ou à réformer les subventions néfastes et à renforcer les incitations positives pour la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité. Cette brève cible est extrêmement importante, et un changement réel dans le versement de fonds aux industries qui détruisent la biodiversité, canalisant ces fonds vers des activités qui contribuent à la conservation et à l’utilisation durable, aurait une incidence considérable. La cible 19 demande que plusieurs types de financement différents soient mis en avant, notamment en“stimulant les systèmes innovants tels que… les compensations et les crédits de biodiversité … »(entre autres)[4]. Cependant, nombreux sont ceux et celles qui ne comprennent pas bien comment les compensations et les crédits de biodiversité fonctionneraient dans la pratique, et certains craignent que les gouvernements qui dépendent trop du financement privé puissent ne pas assurer la rigueur nécessaire pour réduire et inverser les taux de perte de biodiversité à la vitesse requise.

Incidence dépendant de la mise en œuvre

Dans l’ensemble, l’accord de Kunming-Montréal est un accord international multilatéral et, de ce fait, son incidence dépendra de la manière dont il sera mis en œuvre. La responsabilité de la mise en œuvre se situe en majeure partie au niveau national et local, où il faut trouver les ressources suffisantes et appropriées et les fournir aux bons acteurs. Il est nécessaire d’identifier et de réformer les politiques et les lois inadéquates et préjudiciables, et de promouvoir et soutenir le pouvoir habilitant et enrichissant des actions locales et le leadership des peuples autochtones et des communautés locales. Ce nouvel accord offre des possibilités d’action transformatrice pouvant amener des changements, mais il reste encore beaucoup à faire.

[1] « La mise en œuvre du cadre doit suivre une approche fondée sur les droits de l'homme, en respectant, protégeant, promouvant et réalisant les droits de l'homme. Le cadre reconnaît le droit de l'homme à un environnement propre, sain et durable. »

[2] « La mise en œuvre du cadre devrait être guidée par le principe d'équité intergénérationnelle, qui vise à répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins, et à garantir une participation significative des jeunes générations aux processus de prise de décision à tous les niveaux. »

[3] « Le cadre reconnaît les rôles et contributions importants des peuples autochtones et des communautés locales en tant que gardiens de la biodiversité et partenaires dans la conservation, la restauration et l'utilisation durable.. Sa mise en œuvre doit garantir que leurs droits, leurs connaissances, y compris les connaissances traditionnelles associées à la biodiversité, les innovations, les visions du monde, les valeurs et les pratiques des peuples autochtones et des communautés locales sont respectés, documentés, préservés avec leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause y compris par leur participation pleine et effective à la prise de décision, conformément à la législation nationale pertinente, aux instruments internationaux, y compris la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, et au droit des droits de l'homme. À cet égard, rien dans le présent cadre ne peut être interprété comme diminuant ou éteignant les droits que les peuples autochtones ont actuellement ou pourraient acquérir à l'avenir. »

[4] La cible 19, alinéa d, se lit comme suit : « stimulant les systèmes innovants tels que le paiement des services écosystémiques, les obligations vertes, les compensations et les crédits de biodiversité, les mécanismes de partage des bénéfices, par des garanties environnementales et sociales »

Overview

Resource Type:
News
Publication date:
20 March 2023
Programmes:
Culture and Knowledge Environmental Governance Conservation and Human Rights

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