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Cartographie de territoires partagés : un processus collaboratif en République du Congo

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Au cœur de la République du Congo, un projet unique et innovant est en cours, qui a pour objectif de redéfinir la compréhension et le respect des territoires partagés entre les communautés autochtones et locales.

Cette initiative, encadrée par des équipes spécialisées du Forest Peoples Programme (FPP) et de ses partenaires locaux du Centre d’Encadrement Communautaire pour le Développement (CECD), vise à promouvoir l'autonomisation des communautés Baka et Bakwélé dans un village situé à proximité du projet de réserve naturelle de Messok Dja. Le programme se concentre sur une cartographie de l'utilisation des territoires et la promotion d'une gouvernance équitable dans une région où les droits fonciers et la préservation culturelle sont des enjeux majeurs. 

Le contexte

La République du Congo, comme de nombreuses régions d'Afrique centrale, abrite divers groupes ethniques. Depuis des milliers d'années, des peuples autochtones tels que les Baka, les Mbendjélé, les Mikaya, les Gyeli, les Babongo, les Luma et les Twa habitent les forêts de la République du Congo. Il y a environ 4 000 à 5 000 ans, des groupes bantous ont migré dans la région, établissant des royaumes, des clans, des chefferies et des villages. Traditionnellement, tandis que les peuples autochtones sont des chasseurs-cueilleurs semi-nomades profondément liés à la forêt, les communautés locales du grand groupe ethnolinguistique bantou dépendent davantage de l'agriculture, bien qu'elles utilisent tout de même certaines ressources forestières.  

Pendant la période coloniale, l'exploitation à grande échelle des ressources naturelles a souvent conduit à la dépossession des terres autochtones, attribuées sous forme de concessions à des acteurs privés. Cette pratique s'est poursuivie après l'indépendance en 1960, le gouvernement accordant des concessions pour l'agriculture, la sylviculture, l'exploitation minière et pétrolière, principalement à des entreprises étrangères, marginalisant encore davantage les populations autochtones. Parallèlement à l'empiètement des activités économiques, leur sédentarisation forcée dans le cadre du processus de consolidation du gouvernement après l'indépendance a encore perturbé les modes de vie traditionnels et l'utilisation des terres, entraînant une dynamique complexe de partage des territoires et des ressources. Dans la pratique, vivant maintenant dans des « communautés mixtes », les peuples autochtones peuvent être confrontés à une discrimination profonde et à des inégalités dans les rapports de pouvoir. Ils sont souvent repoussés vers des terres marginales, exclus des décisions concernant leurs territoires et ressources ancestrales, et privés d'un accès équitable à la justice et aux services publics, ce qui érode leur autonomie et contrôle sur leurs moyens de subsistance et leur avenir.  

Le système foncier national actuel reconnaît à la fois les droits fonciers de l'État et les droits fonciers coutumiers des peuples autochtones et des communautés locales. La loi 05-2011 sur la promotion et la protection des droits des peuples autochtones, promulguée le 25 février 2011, reconnaît les droits fonciers coutumiers préexistants des peuples autochtones. Malgré cette reconnaissance, la loi 5-2011 ne prévoit pas de mécanismes de réparation pour les terres historiquement expropriées, ni ne prévaut sur les régimes sectoriels (tels que foresterie, exploitation minière et/ou conservation). Elle ne réglemente pas non plus la cohabitation dans les territoires partagés entre communautés autochtones et communautés locales. Il n'existe aucune procédure de délimitation conjointe, de systèmes fonciers stratifiés ou superposés, de gouvernance partagée ou de résolution des conflits, ce qui laisse toute prise de décision entre les mains des autorités officielles et en pratique renforce les asymétries de pouvoir.  

En réponse à ces problèmes, le gouvernement congolais a commencé à rédiger en 2024 un décret visant à faciliter la délimitation et la sécurisation des terres autochtones. Une version préliminaire de ce décret est actuellement en consultation auprès des parties prenantes, y compris les peuples autochtones, avec une finalisation prévue pour la fin de l'année 2025. Des organisations de la société civile, telles que le CECD et le FPP, s'impliquent activement pour s'assurer que le décret tiendra compte des réalités auxquelles sont confrontés les peuples autochtones, en particulier la cohabitation avec les communautés locales marquée par la discrimination et des rapports de pouvoir inégaux. De telles dynamiques soulignent la nécessité urgente pour le projet de décret sur les droits fonciers autochtones d'aller au-delà d'une reconnaissance symbolique : les réalités vécues par les peuples autochtones dans le pays doivent être reflétées par le texte du décret. En effet, sans garanties explicites – telles que la reconnaissance des structures décisionnelles autochtones, des exigences de co-gouvernance dans les territoires partagés et des mesures de lutte contre la discrimination – les peuples autochtones resteront marginalisés, même avec des droits officiellement reconnus. 

Afin de contribuer à ces décisions urgentes, le CECD et le FPP travaillent sur un nouveau projet de cartographie différentielle dans un village au nord de la République du Congo, où le territoire est partagé entre un peuple autochtone Baka et une communauté locale Bakwele.   

Les objectifs du projet 

La cartographie différentielle est une approche expérimentale conçue pour comprendre et décrire les dynamiques de cohabitation entre les peuples autochtones et les communautés locales. L'objectif principal de ce programme est de cartographier l'utilisation de leur territoire par les communautés Baka et Bakwélé de façon désagrégée, afin d'arriver à une représentation visuelle de données concrètes sur la manière dont chaque groupe interagit avec un environnement qu'ils partagent. Cet exercice de cartographie ne vise pas seulement à documenter l'utilisation des terres, mais aussi à renforcer la capacité de ces communautés à faire valoir leurs droits et influencer les décisions politiques qui affectent leur vie et leurs moyens de subsistance. 

Les objectifs principaux du programme étaient de : 

  1. Comprendre l’utilisation des terres : en documentant la manière dont chaque communauté utilise les terres, le projet vise à mettre en évidence les modes d'interaction uniques et complémentaires des Baka et des Bakwélé avec leur environnement.
  2. Informer la gouvernance communautaire : les données collectées alimenteront les discussions en cours sur la gouvernance partagée et les propositions juridiques visant à garantir les droits fonciers des populations autochtones, en particulier dans le contexte de la loi de 2011 sur les peuples autochtones en République du Congo.
  3. Outiller les communautés : grâce à la cartographie participative et à l'utilisation de technologies telles que l’appli Mapeo, les membres des communautés sont formés à la collecte et à la gestion des données, ce qui favorise un sentiment d'appropriation et de contrôle sur les informations relatives à leur territoire. 

Méthodologie

Le projet utilise une méthodologie mixte, combinant une cartographie spatiale des habitudes individuelles avec une prise active des commentaires faits par la communauté. Cela implique : 

  • Une première cartographie au sol : les membres de la communauté dessinent une représentation non géoréférencée de leurs territoires, identifiant les zones et les ressources clés. Ce processus est répété par différents sous-groupes en parallèle, tels que les hommes et les femmes, afin de saisir des perspectives diverses.
  • Une collecte de données sur le terrain : à l'aide de smartphones équipés de l'application Mapeo de Awana Digital, les membres de la communauté collectent des données géoréférencées sur leurs activités quotidiennes, les sites importants et leur utilisation de différentes ressources. Ces données sont ensuite utilisées pour créer des cartes détaillées reflétant les changements saisonniers et les profils d'utilisation.
  • La capture des commentaires supplémentaires faits par la communauté : des réunions régulières et des séances de feedback garantissent que le processus de cartographie est collaboratif et reflète les besoins et les idées de l'entièreté de la communauté. 

Quelques défis et observations préliminaires 

La mise en pratique de cette nouvelle méthodologie n'est pas sans ses difficultés. Des problèmes techniques, tels que la difficulté de recharger les appareils dans les zones reculées sans accès fiable à l'électricité, aux dynamiques sociales, notamment les niveaux d'enthousiasme et de participation différents entre les Baka et les Bakwélé, nécessitentdes stratégies d'adaptation et un dialogue continu entre les membres de l'équipe et de la communauté. 

Une première observation notable concerne la différence dans la façon dont chaque sous-groupe de la communauté perçoit son territoire. Les Baka, avec leur mode de vie nomade traditionnel, considèrent la forêt comme un espace ouvert sans frontières strictes. Si les activités les plus fréquentes se déroulent à proximité de leurs habitations individuelles, des expéditions saisonnières de plusieurs semaines dans la forêt peuvent les amener à franchir les frontières administratives officielles du village et à traverser les territoires voisins. En revanche, les Bakwélé ont une perception plus définie des limites territoriales, influencée par leurs pratiques agricoles et leur mode de vie plus sédentaire. 

Les dynamiques et rôles assignés entre les sexes ont aussi un impact important. Les activités traditionnellement menées par les femmes, telles que la cueillette et la pêche, ne couvrent généralement pas les mêmes distances que celles menées par les hommes, comme la chasse. Les femmes Bakwélé indiquent qu'elles ne souhaitent pas s'éloigner trop du village sans être accompagnées par des hommes, en raison de la présence d'éléphants dans la région..  

En ce qui concerne la réalisation des activités du programme en elles-mêmes et l'utilisation de la technologie, les premières sessions de formation étaient une première occasion pour de nombreux membres de la communauté autochtone d'avoir un téléphone en main. Au cours de la première moitié de la période de collecte des données cartographiques (octobre 2024 à mai 2025), cependant, le niveau de compétence de la communauté a augmenté de manière exponentielle grâce à une pratique autonome enthousiaste. Les femmes Baka, en particulier, ont fait preuve d'une adaptabilité et d'un intérêt remarquables dans l'utilisation de la technologie pour documenter leur utilisation quotidienne des terres, traduisant une tendance plus générale vers un confort et une maîtrise croissants des outils fournis. 

Perspectives pour la suite

Tandis que le projet avance, il est permis d'espérer que les cartes détaillées et les données collectées serviront non seulement à informer les processus de gouvernance locale et les cadres juridiques, mais aussi de modèle pour des initiatives similaires dans l'ensemble du bassin du Congo. En donnant aux communautés autochtones et locales les moyens de mener à bien le processus de documentation de leurs propres utilisations et relations avec leurs terres et ressources, afin de faire valoir leurs droits fonciers, ce projet vise à contribuer à un avenir plus équitable et plus durable pour tous ceux qui considèrent ces forêts comme leur foyer. 

En prenant part à un tel processus collaboratif, grâce à un accès démocratisé à la technologie et sur base d'un profond respect de leurs connaissances traditionnelles, les communautés Baka et Bakwélé contribuent à ouvrir la voie à une nouvelle ère de reconnaissance des droits fonciers et de gouvernance partagée en République du Congo. 

Overview

Resource Type:
News
Publication date:
22 October 2025
Region:
Republic of Congo
Programmes:
Territorial Governance Culture and Knowledge Conservation and human rights

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