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Le coronavirus et les communautés des forêts

Karen people in a number of highland communities begin to shut-down their villages

Le COVID-19 constitue une menace mondiale dont tous les effets restent encore inconnus. Mais de nombreux peuples autochtones et communautés locales font maintenant face, et continueront d’être confrontés, à de nouveaux défis qui s’ajoutent aux difficultés que nous connaissons tous déjà. Forest Peoples Programme se préoccupe particulièrement pour les communautés et peuples autochtones qui vivent dans les milieux éloignés des zones urbaines, souvent avec des services de santé rudimentaires. Si le virus atteint ces communautés éloignées (ou lorsqu’il les atteindra), les effets seront graves.

En même temps, sous le couvert de la pandémie, des gouvernements en profitent pour déréglementer des industries nuisibles, intensifier l’extraction de ressources et éliminer la réglementation environnementale. Cela revient à offrir l’impunité à des criminels sans scrupules et — comme nous l’avons observé durant la crise d’Ebola au Liberia — peut ouvrir la voie à l’expansion d’entreprises dommageables, à l’augmentation de la déforestation et à la répression des peuples de la forêt.

Répondre aux menaces externes

Bien que la maladie comporte en soi de graves répercussions pour la santé et le bien-être des peuples autochtones et des communautés locales, le confinement et les actions de gouvernements et d’entreprises sans scrupules, qui profitent de la situation où l’attention du public est détournée, peuvent aussi avoir des effets dévastateurs.

Dans certaines régions, on accuse faussement les peuples autochtones de propager la maladie. C’est ce que nous avons observé avec nos partenaires dans la région de San Martin, au Pérou, où un dirigeant quechua qui a contracté le coronavirus alors qu’il menait des activités de plaidoirie aux Pays-Bas a été accusé d’introduire la maladie dans cette région amazonienne, même s’il est entré volontairement en quarantaine dès son retour à la maison. Une vague de réactions racistes contre la communauté autochtone a suivi.

La Colombie constitue depuis longtemps un des pays les plus dangereux de la planète pour les défenseurs des droits de l’homme, mais des groupes armés profitent maintenant du confinement pour cibler des dirigeants sociaux enfermés chez eux. Les menaces de mort ont augmenté, les gouvernements locaux se concentrent sur la pandémie et alors que les gardes du corps de l’Unité de protection nationale sont forcés de s’isoler, on assiste à une forte hausse des assassinats de dirigeants sociaux depuis que le confinement a commencé il y a trois semaines. La Colombie compte plus de sept millions de déplacés internes, dont beaucoup sont des Autochtones, des descendants d’Africains ou des membres de communautés paysannes. Ils vivent dans des abris temporaires, improvisés ou dangereux, souvent sans eau courante, ce qui accroît les risques d’être exposés au coronavirus.

Les acteurs illégaux ne sont pas les seuls à profiter de la situation actuelle. En mars, le gouvernement indonésien a proposé une nouvelle loi de déréglementation qui modifierait presque 80 lois et éliminerait les restrictions actuelles contre les sociétés minières. En offrant effectivement l’impunité aux minières qui ne respectent pas leurs engagements environnementaux, cette déréglementation constitue une sérieuse menace pour l’environnement et les communautés dont les droits fonciers, l’autodétermination et l’existence même seront bafoués par la prolifération des mines non contrôlées.

L’Agence de protection de l’environnement des États-Unis a introduit une « politique d’application discrétionnaire » qui suspend temporairement l’application de la réglementation environnementale et des amendes durant la pandémie. Cette politique répond au lobbying des industries pétrolière et gazière, entre autres, et leur permet dans les faits d’augmenter la pollution de l’eau et de l’air sans avoir à contrôler ses effets ni à en assumer la responsabilité, « pourvu qu’elles allèguent que ces manquements sont d’une certaine façon “causés” par le virus de la pandémie. »

L’agence environnementale du Brésil a elle aussi réduit ses efforts pour appliquer la réglementation environnementale, en alléguant que ses agents responsables de l’application risqueraient de contracter le virus ou de le propager dans des communautés éloignées. Cette décision coïncide avec une augmentation de 70 pour cent de la déforestation comparativement à 2019 et survient après les feux dévastateurs en Amazonie et fait craindre aux observateurs que les bûcherons et les voleurs de terres profitent du relâchement de la surveillance des forêts.

Les peuples autochtones et les communautés locales ferment les frontières

Les peuples et les communautés autochtones réagissent. « Accès bloqué, COVID-19 » indique une enseigne à l’entrée du territoire autochtone Manoa-Pium dans le nord du Brésil. Manoa-Pium est une de plus de 100 communautés autochtones dans l’État de Roraima qui a fermé ses frontières pour éloigner le coronavirus.

De l’Amazonie à l’Arctique, les groupes autochtones agissent pour se protéger. Nous avons vu des reportages dans ce sens particulièrement dans les Amériques, ce qui est sans doute peu surprenant étant donné les effets catastrophiques de l’introduction de nouvelles maladies dans le passé. Le résultat positif pour le coronavirus obtenu par un médecin qui travaille avec la plus grande tribu de l’Amazonie brésilienne suscite la peur que le virus pourrait se propager rapidement dans les communautés éloignées, où beaucoup d’habitants ont un système immunitaire affaibli en raison d’autres maladies et de la malnutrition. Les mêmes craintes existent en Australie où environ la moitié de tous les Aborigènes adultes souffrent de maladies chroniques comme les maladies du cœur et du rein, et le slogan « restez chez vous, prenez soin de la famille » est devenu un appel à l’action communautaire.

La Confédération des autochtones de l’Amazonie équatorienne, CONFENIAE, a bloqué tous les accès à la forêt tropicale aux touristes et aux Équatoriens et a demandé que toutes les entreprises (des secteurs pétrolier, minier et forestier) maintiennent leur personnel éloigné. Les Autochtones équatoriens se sont enfuis dans leurs territoires lorsque le coronavirus a atteint le pays, et se sont dépêchés pour rejoindre leurs proches avant que les accès soient fermés. D’autres ont décidé à regret de rester à distance par crainte d’introduire la maladie dans leurs communautés. Marlon Vargas, le président de la CONFENIAE, a expliqué que la propagation du coronavirus dans les territoires causerait « l’extermination de la population autochtone dans le bassin de l’Amazone. »

Au Canada, de nombreuses communautés autochtones, notamment les communautés cries, innues et inuites et les Mohawks de Kahnawake ont fermé leurs territoires aux étrangers et les membres de leurs communautés qui y retournent doivent s’isoler pendant 14 jours. Au début d’avril, plus d’une douzaine de personnes dans huit communautés ont été confirmées positives au Québec.

Alianza Mesoamericana rapporte des mesures semblables partout en Amérique centrale. Au Panama, le peuple côtier des Gunas a fermé l’accès à ses eaux et les Emberas ont interdit les entrées et sorties de leurs territoires à l’exception des urgences. Le réseau autochtone Bribri-Cabecar du Costa Rica a fermé ses terres à tous les étrangers et interdit les rassemblements, les ateliers, les sports et le tourisme.

La nation Wampis, des partenaires de longue date du FPP au Pérou, a fermé ses frontières territoriales et a même adopté la mesure préventive supplémentaire de restreindre les mouvements à l’intérieur de son territoire. Elle mène des campagnes de sensibilisation qui ciblent les communautés particulièrement à risque d’infection.

Pour éloigner la COVID-19, les Karens des régions montagneuses de la Thaïlande ont rétabli leur ancien rituel « Kroh Yee, » dont le nom signifie « fermeture de village. » Ils ont utilisé cette mesure il y a 70 ans pour combattre une éclosion de choléra. Les Karens accrochent des étoiles et d’autres symboles en bambou, selon la sévérité de l’épidémie, à l’entrée de leurs villages. Les détenteurs de savoirs de la communauté croient qu’ils disposent de suffisamment de réserves alimentaires et de production pour durer un an en isolation. Les Dayak Bahau de Long Isun, Indonésie, ont également décidé de s’isoler et n’acceptent aucun visiteur étranger.

Repenser la résilience

Alors que les Karens ont heureusement réussi à maintenir leur production et leur stockage de denrées, les confinements illustrent vivement comment le passage aux cultures de rente comme le cacao et le café a affaibli de nombreux systèmes alimentaires traditionnels. Les communautés autrefois autosuffisantes ne peuvent plus se nourrir et doivent aujourd’hui se déplacer — souvent sur de longues distances — pour atteindre les marchés dans des villages et des villes plus grandes. Mais les communautés qui se sont isolées ne peuvent plus le faire. Ces communautés se demandent combien de temps dureront leurs réserves d’aliments et certaines d’entre elles dépendent déjà de l’aide alimentaire, par exemple au Honduras et au Suriname. Au Pérou, des communautés Kichwa ont pris des mesures ces dernières semaines pour fermer leurs villages aux étrangers, mais les denrées de base comme le sel et l’huile s’épuisent rapidement. Vicky Tauli-Corpuz, l’ancienne rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, a souligné l’importance de la sécurité alimentaire et du partage traditionnel des réserves alimentaires.

La pandémie a relancé les discussions sur le besoin de rétablir et de renforcer les systèmes de production alimentaire traditionnels et de médecine traditionnelle. NDN Collective, une organisation autochtone basée aux États-Unis a qualifié cette approche de « réponse communautaire décolonisante à la COVID-19. » Comme l’explique cet article sur l’approche, « nous devons penser à la sécurité alimentaire, pas dans une optique capitaliste et individualiste, mais dans une optique collective. Cette période pendant laquelle nous devons maintenir une “distanciation sociale” constitue un moment idéal pour relancer (à nouveau) notre médecine traditionnelle et notre transformation alimentaire traditionnelle. »

Alors que les accaparements de terres et l’expansion de l’agrobusiness peuvent menacer la souveraineté alimentaire des communautés autochtones et qui dépendent de la forêt, la déforestation rapide, l’urbanisation et la construction de routes contribuent également à la propagation du COVID-19, car elles attirent les étrangers vers les territoires éloignés. En Malaisie péninsulaire, le virus a maintenant atteint la communauté autochtone d’Orang Asli, probablement à cause d’immenses plantations de palmier à huile qui ont repoussé ces communautés de plus en plus profondément dans la forêt. Une route sur une des îles Andaman en Inde présente des menaces similaires, alors qu’elle passe à proximité d’une communauté autochtone autrefois éloignée.

Enjeux linguistiques et contextuels

Beaucoup d’information est disponible sur les mesures à prendre pour rester en sécurité durant la pandémie de coronavirus. Mais cette information n’atteint pas nécessairement les peuples autochtones et les communautés locales et elle n’a pas été conçue pour eux. Beaucoup d’Autochtones ne parlent pas la langue dominante du pays et lorsque les messages d’intérêt public sont diffusés seulement en français, en espagnol ou en portugais, par exemple, ils n’y ont pas accès.

Des organisations autochtones produisent des feuillets et des affiches en langue locale comme l’Association Sotz’il du Guatemala qui diffuse des affiches sur Facebook en langue maya cakchiquel. Certains gouvernements régionaux font de même et le gouvernement de Jujuy en Argentine a publié cette affiche de prévention en quechua.

Cependant, la simple traduction des messages dans la langue majoritaire ne suffit pas toujours. Dans certaines régions où les niveaux d’alphabétisation sont faibles, les affiches sont inefficaces, et même dans les milieux très alphabétisés, l’écriture ne représente pas toujours la meilleure méthode de communication. En Guyane française, les autorités coutumières ont publié des messages de sensibilisation en kali’na (caraïbes) dans Facebook, alors que les communautés emberas en Colombie ont produit de courtes vidéos avec des instructions écrites et orales (à l’aide d’applications d’enregistrement de la voix de leur téléphone) sur comment rester en sécurité durant la pandémie. Ces messages sont partagés dans WhatsApp. L’organisation Wayana Mulokot du Suriname a produit un podcast en wayana dans Facebook et en Équateur, on a traduit le mot-clic #RestezChezVous en langue Kichwa et Shuar (#WasipiSakiri et #JeminPujusta).

La chanson constitue probablement le moyen le plus partageable et efficace d’informer les communautés. Une organisation autochtone du Pérou a écrit et enregistré une piste en quechua qui renforce les directives gouvernementales sur le lavage des mains et la distanciation sociale. L’Ouganda a fait de même avec ce vidéoclip de Bobbi Wine, un ancien chanteur maintenant devenu député. En Australie, une campagne en langues aborigènes inclut des chansons et des vidéos sous le thème « Restez chez vous, prenez soin de la famille. »

Cultural Survival a produit une série de messages d’intérêt public en ligne — maintenant offerts en 32 langues ; cette organisation en prépare beaucoup d’autres et cherche des bénévoles pour l’aider à traduire encore plus de versions.

L’absence d’Internet limite l’accès à l’information surtout lorsque le confinement empêche les résidents d’atteindre une zone wifi ou un meilleur signal téléphonique. C’est pourquoi la radio locale demeure un média si important dans beaucoup de communautés éloignées. Les stations de radio communautaire autochtones diffusent souvent au moins une partie de leur programmation en langue locale. Le plus important, c’est que les producteurs radiophoniques connaissent bien leur public — leurs auditeurs pourraient ne pas être connectés, ne parler que leur langue autochtone et/ou être âgés, de sorte qu’ils risquent à la fois d’être infectés et de ne pas avoir accès à de l’information fiable.

Plus tôt cette semaine, la présidente de l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones (UNPFII), Anne Nuorgam, a publié un message pour exhorter les États membres à inclure les besoins et les priorités des peuples autochtones durant la pandémie de COVID-19. Elle a insisté sur le besoin de rendre l’information disponible en langues autochtones, de protéger les aînés autochtones et de respecter le droit à l’autodétermination des peuples autochtones qui vivent en isolement volontaire et en contact initial.

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Forest Peoples Programme croit que les organisations qui travaillent avec les peuples autochtones et les communautés locales doivent continuer d’être à l’écoute des besoins de ces communautés et de travailler à appuyer les initiatives de la base. Nous croyons que le COVID-19 ne fait que souligner l’importance que les peuples autochtones puissent exercer un contrôle effectif de leurs territoires. Nous appuyons les appels à un moratoire sur les activités externes dans les territoires autochtones et nous pensons que, maintenant plus que jamais, toute activité envisagée avec les communautés autochtones et des forêts devrait se dérouler seulement après avoir obtenu le consentement explicite des peuples concernés.

Les organisations doivent faire preuve de flexibilité dans leur appui à ces communautés et être prêtes à travailler en coordination pour affronter les menaces supplémentaires qui surgissent en raison de la pandémie et des réponses des gouvernements et des entreprises.

Pour en savoir plus

L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture a produit une série de recommandations en ce qui concerne les droits et la sécurité des peuples autochtones.

Le Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies collige les ressources pour les communautés autochtones, y compris les déclarations sur le COVID-19, les articles de nouvelles et les messages d’intérêt public. Il demande également que les communautés partagent leurs méthodes de lutte contre la propagation de la maladie — vous pouvez les joindre à [email protected]

COICA, la Coordination des organisations autochtones de l’Amazonie, a publié une déclaration (seulement en espagnol) sur les actions qu’elle croit que les gouvernements devraient mener en priorité pour protéger les peuples autochtones.

Le site Web de l’IWGIA (Groupe de travail international sur les questions autochtones) contient une section de nouvelles spéciale avec des mises à jour régulières sur les effets du COVID-19 sur les communautés autochtones partout sur la planète.

L’article de Charity So White intitulé « Racial Injustice in the COVID-19 Response » porte sur les communautés noires, asiatiques et ethniques minoritaires dans le Royaume-Uni, mais ses « cinq principes clés pour orienter notre réponse au COVID-19 » constituent un rappel utile pour les organisations, peu importe où elles œuvrent.

FPP a publié un avis dans notre site Web sur l’impact de la pandémie sur notre travail avec les partenaires et nous continuerons d’actualiser nos messages à mesure que la situation évolue. Nous invitons tous les partenaires et communautés à ne pas hésiter à nous joindre en communiquant avec leur contact national ou en écrivant à [email protected].

Overview

Resource Type:
News
Publication date:
9 April 2020

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