Les communautés autochtones Bagyeli recourent au UNCERD pour protester contre l'arrivée de CamVert sur leurs terres traditionnelles

BACUDA, une organisation des peuples autochtone Bagyeli, en collaboration avec APED, une OSC camerounaise, et Forest Peoples Programme (agissant avec le mandat des communautés Bagyeli affectées), ont soumis aujourd'hui une requête au Comité pour l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CERD) dans le cadre de sa procédure d'alerte précoce / d’action urgente.
La soumission concerne l'emprise du projet de plantation d’huile de palme de la société CamVert SARL sur les terres coutumières de sept communautés Bagyeli. Le projet est imminent suite au déclassement de 60 000 hectares de l'Unité Forestière d’Aménagement (UFA) 09-025 par le gouvernement camerounais en novembre 2019 à des fins d’exploitation agricole.
Les communautés Bagyeli sont unanimement opposées au projet et ont fait appel au CERD pour demander à l'État d'arrêter ce projet de palmier à huile, de leur rendre leurs terres coutumières et de leur fournir des garanties juridiques pour qu'elles continuent à en être propriétaires.
La décision de l'État de déclasser une partie de l'UFA 09-025 a été largement contestée par la société civile camerounaise en raison des impacts environnementaux dévastateurs que l'établissement d'une monoculture de palmiers à huile aura sur cette zone forestière riche en biodiversité. Bien qu'elle soit utilisée pour l'exploitation forestière sélective, l'UFA déclassée sert de zone tampon au Parc National de Campo Ma'an et abrite des buffles, des éléphants de forêt et des chimpanzés, mais c'est aussi un espace où les communautés Bagyeli mènent leurs activités culturelles et de subsistance.

L'établissement de la plantation de palmiers à huile impliquera le défrichement massif de leurs terres forestières traditionnelles qui hébergent des sites culturellement importants, et qui restent une source essentielle d’approvisionnement (vivres, pharmacopée) pour les populations Bagyeli touchées. Cela causera des dommages irréparables à leurs terres ancestrales et supposera des violations extrêmement graves des Droits de l'Homme.
Ces craintes ne sont pas sans fondement. En effet, plusieurs communautés Bagyeli voisines du Département de l’Océan ont déjà subi le même sort, et sont à présent dans un état de pauvreté extrême et de marginalisation.
Ni le projet, ni l'État n'ont obtenu le consentement, libre, informé et préalable (CLIP) des Bagyeli, comme l'exigent les différents instruments de droit international ratifiés par le Cameroun.
En novembre 2019, plusieurs communautés Bagyeli ont écrit à CamVert pour leur faire part de leurs préoccupations et leur demander entre autres, qu’ils tiennent des consultations dans les communautés pour expliquer le projet, et que la cartographie et le titrage de leurs territoires se fassent de manière participative. Ces préoccupations n'ont à ce jour jamais été prises en compte.
Irrégularités dans les procédures
Non seulement cette affaire a suscité la controverse en raison de l'impact préjudiciable que la plantation aura sur la biodiversité de la région, mais elle a également attiré l'attention d'un large éventail d'acteurs en raison de la rapidité et de la facilité avec lesquelles CamVert (une entreprise jusqu'alors inconnue et sans expérience démontrée dans l'industrie du palmier à huile) a acquis cette vaste étendue de forêt.
Des inquiétudes ont été soulevées quant à la nature juridiquement douteuse de cette acquisition. À notre connaissance, il n'existe aucun décret attribuant légalement les terres déclassées à CamVert, malgré le fait que la société (qui prétend aspirer à la certification RSPO) travaille activement dans la région au moins depuis septembre 2019 (embauche de personnel, préparation des logements, démarrage d'une pépinière de palmiers à huile, et plus récemment, abattage des arbres et plantation).

De plus, l'article 9, paragraphe 3, du décret n° 95/531/PM du 23 août 1995[2] stipule que le déclassement ne peut avoir lieu si cela :
- Porte atteinte à la satisfaction des besoins des populations locales en produits forestiers ;
- Compromet la survie des populations riveraines dont le mode de vie est lié à la forêt concernée ;
- Compromet les équilibres écologiques.
Compte tenu de l'extrême dépendance vis à vis de cette zone des communautés – en particulier des communautés Bagyeli – pour leur subsistance et de l'importante biodiversité au sein de l'UFA, il est difficile de voir à quel moment ce décret a été respecté. L'accès des communautés à la terre est déjà fortement réduit par le Parc National de Campo Ma'an et la plantation voisine d’HEVECAM, et l'établissement d'une nouvelle plantation de palmiers à huile dans cette zone aurait des effets dévastateurs sur l'accès à la terre des populations locales, leurs moyens de subsistance et leur capacité à mener à bien leurs pratiques traditionnelles.

Accords sociaux
Le 26 mars 2020, un cahier des charges a été signé entre CamVert et un supposé représentant des communautés Bagyeli concernée. Le processus d'élaboration et de signature, ainsi que le contenu de ce cahier des charges, posent de sérieux problèmes.
Premièrement, le contenu de l'accord a été élaboré sans une consultation adéquate des communautés Bagyeli concernées.
Deuxièmement, la signature du cahier des charges a eu lieu pendant la pandémie de COVID-19, quelques jours après que le gouvernement camerounais ait imposé des restrictions strictes quant aux déplacements entre les villes et les villages, et la taille des réunions. Le processus ne pouvait donc pas être suffisamment participatif et les ONG d'accompagnement n'étaient pas en mesure de venir aider les communautés Bagyeli durant le processus. Tout cela sans compter les risques qu’a fait courir CamVert aux communautés Bagyeli en les exposant au virus du fait de leurs déplacements dans une région jusque-là épargnée.
Troisièmement, la personne Bagyeli choisie par CamVert pour signer le cahier des charges n'avait pas le mandat des communautés Bagyeli pour les représenter et ne comprenait pas ce qu'elle signait (la personne en question ne sait en effet ni lire ni écrire en français, pourtant la langue du cahier des charge).
Enfin, en ce qui concerne le contenu de l'accord, la compensation offerte par CamVert aux communautés Bagyeli reste vague, culturellement inappropriée et totalement inadéquate par rapport à la perte importante de ressources forestières qu'elles vont subir. De plus, l'accord est valable pour 25 ans, sans qu'aucune révision de l'accord ne soit prévu ou possible avant cette date.
Soumission au CERD
Début octobre 2020, les communautés Bagyeli touchées, ainsi que certaines communautés Mvae et Yassa (tribus bantoues locales dominantes), ont écrit à nouveau à CamVert, au Ministre des Forêts et de la Faune (MINFOF) et au Président de la République, pour exprimer leurs préoccupations concernant ce projet.
Le déclassement de l'UFA 09-025 en vue de sa réaffectation à CamVert :
- Ne respecte pas, ne protège pas et ne réalise pas les droits du peuple autochtone Bagyeli sur ses terres, territoires et ressources naturelles coutumiers, et reflète une non-reconnaissance discriminatoire de la propriété et de l'utilisation coutumières de leurs terres par les peuples autochtones au Cameroun ;
- A eu lieu sans processus de consultation approprié, ni mise en œuvre du consentement libre, informé et préalable (CLIP) ;
- Ne prévoit pas d'indemnisation suffisante et adéquate des communautés Bagyeli touchées ;
et
- Crée un risque très important de préjudice grave et d'appauvrissement des communautés, dont la jouissance de leurs droits économiques, sociaux et culturels sera fortement compromise si la plantation de palmiers à huile se poursuit.
Les communautés Bagyeli restent unanimement opposées au projet et font appel au CERD pour demander à l'État camerounais de leur restituer leurs terres coutumières et de leur fournir des garanties juridiques pour qu'elles puissent en être propriétaires et en jouir pleinement. N’ayant jusque-là jamais été écoutées, les communautés Bagyeli espèrent que cette fois l'État entendra le CERD.
Voir la soumission au CERD sur CamVert pour plus de détails sur l'affaire
Voir une précédente soumission au CERD concernant l'affaire Biopalm, et la réponse du Comité ici
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[1] Pour les obligations des États de protéger et de respecter les droits de propriété des peuples autochtones, y compris l'obligation de ne pas empiéter sur ces terres sans un consentement libre, informé et préalable, voir : e.g. African Charter of Human and Peoples’ Rights: article 14; Endorois v Kenya (2010); International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination: article 5(d)(v); Committee on the Elimination of Racial Discrimination (1997), General Recommendation No. 23 on the rights of indigenous peoples, Concluding Observations: Cameroon (2014), esp para 16; International Covenant on Civil and Political Rights: arts 1 and 27; Human Rights Committee (1994), General Comment No 23 (1994); Poma Poma v Peru (2009), Communication No. 1457/2006; Concluding Observations: Cameroon (2017), esp para 45; International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights: arts 11, 15; Committee on Economic, Social and Cultural Rights (2009), General Comment No. 21, esp para 36; Concluding Observations: Cameroon (2019) esp. para 12
[2] Forest Law Decree
Overview
- Resource Type:
- News
- Publication date:
- 29 October 2020
- Region:
- Cameroon
- Programmes:
- Legal Empowerment Access to Justice Supply Chains and Trade Culture and Knowledge Territorial Governance Conservation and human rights