Sécurité foncière : La bataille judiciaire des Bagyeli

Au Cameroun, des communautés autochtones Bagyeli saisissent les Nations Unies et les juridictions nationales pour sauver leurs forêts, en voie d’être cédée par l’Etat à l’agro-industrie Biopalm.
« Je ne peux pas rester les bras croisés et laisser qu’ils arrachent nos forêts. Je suis prête à aller même devant les tribunaux pour défendre nos forêts », déclare d’un ton ferme, Virginie Ngo Houlé. Mère de 8 enfants, Virginie est une femme autochtone Bagyeli du village Gwap. Depuis plus de 35 ans, elle s’occupe de sa progéniture grâce aux activités de ramassage, de pèche et de cueillette qu’elle mène dans les forêts du département de l’Océan dans le Sud du Cameroun.
Virginie vient de cueillir des plantes médicinales trouvées en forêt pour soigner ses abcès. Elle est atteinte du panaris, une infection localisée sur ses deux mains et sur le même doigt : le majeur. Malgré la vive douleur qui la tenaille, Virginie participe à la séance de restitution des avancées des procédures judiciaires visant à sauver les forêts des Bagyeli face à l’accaparement de l’agro-industrie Biopalm.

Après plusieurs années de contestation de l’implantation de l’agro-industrie Biopalm dans leurs forêts, des communautés autochtones Bagyeli ont découvert avec étonnement le décret présidentiel N° 2018/736 du 4 Décembre 2018 qui autorise « la conclusion par dérogation spéciale d’un bail emphytéotique entre l’Etat du Cameroun et la Société Palm Ressources Cameroon S.A (Biopalm) sur une parcelle du domaine privé de l’Etat ». Selon le décret, 18 mille hectares seront loués à Palm Resources Cameroon SA, une filiale de la société Singapourienne Biopalm Energy Limited, pour la production du palmier à huile dans les villages Gwap, Nkollo et Bella, pour une durée de 50 an renouvelable.
Aussitôt, les communautés autochtones Bagyeli s’organisent pour la défense de leur forêt. A cet effet, ils donnent mandat aux organisations de la société civile Forest Peoples Programme (FPP) et Association Okani d’entreprendre des procédures judiciaires pour les rétablir dans leurs droits. « Nous avons demandé à l’avocat de nous aider afin que Biopalm ne prenne pas notre forêt », ajoute Virgine Ngo Houlè. Il faut donc faire le suivi.
Constance dans le combat
En ce jour ensoleillé de mars 2020, hommes, femmes et enfants Bagyeli se sont retrouvées sous l’arbre à palabre pour écouter leur avocat. « Nous avons entrepris une action contre le décret Présidentiel de Décembre 2018 et une autre action contre les deux titres fonciers que l’Etat a acquis en 1997 sur vos terres », rapporte Maître Stephen Nounah, avocat au barreau du Cameroun. Une salve d’applaudissements s’en suit ainsi que des questions relatives à l’accès aux terres pour des Bagyeli.

Peuples autochtones de forêt, les Bagyeli dépendent entièrement des forêts pour leur survie. Ils se demandent pourquoi et comment le Chef de l’Etat a pu décider de louer de vastes étendues de forêts utilisées par des Bagyeli, sans demander leur avis. « Nous avons été déçus de n’avoir pas été consulté et nous sous sommes dits que nous n’étions pas des humains. Voyez-vous, nous vivons toujours en forêt. Mais, on ne demande jamais même notre avis pour savoir si nous sommes d’accord ou non avec le travail qu’ils viennent effectuer dans nos forêts », déplore aussi Mathias Kouma. Ce jeune leader Bagyeli du village Nkollo se souvient des actions engagées lorsque les premières nouvelles sur Biopalm ont circulé dans la communauté dès 2012.
A l’époque, les Bagyeli ont appris par décret présidentiel qu’une agro-industrie Singapourienne spécialisée dans la culture d’huile de palme avait obtenu par l’entremise de sa filiale camerounaise Palm Ressources Cameroun S.A. une Convention Provisoire au lieu-dit « Bella ». Ils ont vite marqué leur opposition. « Nous avons écrit une lettre que nous avons tous signé ici, hommes et femmes, afin que le Président de la République sache que des gens vivent depuis longtemps dans la forêt qu’il veut donner à Biopalm et ces communautés ne sont pas contente de sa décision de céder leurs forêts à Biopalm», rappelle Mathias Kouma, jeune leader Bagyeli du village Nkollo.
Dans la même lancée, ils ont cartographié leurs activités en forêt et entrepris des démarches pour obtenir des forêts communautaires dans les villages Mounguè, Gwap et Nkollo qui partagent les mêmes forêts avec leurs frères Bagyeli de Bella. « Lorsque nous avons été informés de l’affaire Biopalm, nous avons utilisé la cartographie participative pour montrer les lieux où nous menions nos activités en forêt. Nous avons aussi engagé le processus de création d’une forêt communautaire pour avoir un espace qui nous appartiendrait même s’il arrivait qu’on perde une partie de nos forêts avec l’arrivée de Biopalm », relate le jeune Mathias.
En Novembre et Décembre 2018, ils ont déposé 3 dossiers de Forêts Communautaires à la Délégation Départementale du Ministère des Forêts et de la Faune (MINFOF). Mais, la procédure se heurte à un mur de l’administration. Après plusieurs investigations, les Bagyeli découvrent en 2019 seulement, que l’Etat avait acquis deux titres fonciers (N° 8413/Océan et N°8414/Océan) sur leurs terres ancestrales depuis 1997.

Titres fonciers à problème
La délivrance des deux titres fonciers au nom de l’Etat préoccupe aussi également les familles Bagyeli et leurs voisins Bantou, tous résident dans la localité depuis des dizaines d’années. Mais, selon leurs affirmations, aucun d’eux n’a jamais su que l’Etat avait immatriculé les terres sur lesquelles ils vivent. De source documentaire, au moment de l’acquisition desdits titres au nom de l’Etat, le gouvernement s’est appuyé sur l’argument selon lequel « l’Etat a constaté que les terres sont inoccupées et non utilisées par les communautés ».
Or, cinq communautés autochtones Bagyeli utilisent les forêts des arrondissements de Bipindi et de la Lokoundjé depuis plusieurs décennies pour leurs activités de pêche, chasse, cueillette, de ramassage mais aussi pour la pharmacopée.
Des Bagyeli affirment que l’Etat a acquis ces titres sans consultation ni consentement libre, préalable et éclairé des peuples autochtones Bagyeli. « Nous les Bagyeli, nous ne connaissons pas ce qu’on appelle titre foncier car, quand les décideurs en parlent, ils ne nous font jamais asseoir pour discuter avec nous. Ils viennent seulement arracher nos terres », affirme Mathias Kouma. La réaction est similaire dans les communautés Bantou des villages Nkollo, Gwap et Mounguè. Ici, leurs élites s’occupent des actions judiciaires visant l’annulation les deux titres fonciers, principal blocage à l’obtention de forêts communautaires dans la localité tant pour les Bagyeli que pour leurs voisins Bantous.
A cet effet, Maître Stephen Nounah a engagé pour le compte des Bagyeli deux autres procédures contre les deux titres fonciers de l’Etat établis dans cette zone, l’une en annulation et l’autre en suspension de leurs effets. Des procédures identiques contre les titres fonciers ont été engagées par les chefs de trois des villages affectés, pour le compte des Bantou. Ici, leurs élites s’occupent des actions judiciaires visant l’annulation des deux titres fonciers.
Aujourd’hui, ces titres fonciers au nom de l’Etat entravent la sécurisation des terres ancestrales des communautés autochtones Bagyeli. Au niveau national, les différentes actions entreprises au compte des Bagyeli visent à rétablir leurs droits fonciers des communautés autochtones Bagyeli. S’agissant du volet international, « nous avons saisi le comité des Nations Unies pour l'élimination de la discrimination raciale », explique l’avocat.
De source introduite, le comité a répondu à travers une série de recommandations faites à l’Etat du Cameroun afin qu’il garantisse le respect des droits fonciers des Bagyeli, peuples autochtones protégés par les Nations Unies.
Overview
- Resource Type:
- News
- Publication date:
- 7 April 2020
- Region:
- Cameroon
- Programmes:
- Conservation and human rights Supply Chains and Trade Culture and Knowledge Territorial Governance Global Finance
- Partners:
- Association OKANI