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Le gouvernement Macron: dernier obstacle à la protection des peuples autochtones dans le droit européen

Nkoulemboula, South Province, Cameroon. Credit Adrienne Surprenant.jpg

Lors de sa rencontre avec le leader indigène Raoni Metuktire au Brésil en 2019, le président Emmanuel Macron avait déclaré que

 

« la France est naturellement engagée dans la lutte contre la déforestation " et " défend les droits des peuples autochtones, notamment en tant qu'acteurs essentiels pour la préservation des forêts et de la biodiversité, et donc engagés dans la lutte contre le changement climatique. »

 

Aujourd'hui, le Président français doit tenir ses promesses et soutenir la protection des peuples des forêts dans le droit européen.  

Alors que les négociations sur le règlement européen sur la déforestation importée se finalisent à Bruxelles, les partisans de l’exploitation forestières et les opposants à la protection des droits humains dans les chaines d’approvisionnement des entreprises redoublent d'efforts pour affaiblir la loi. Les négociations entre la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil de l'UE doivent en effet s'achever la semaine prochaine, lorsque les négociateurs s'accorderont sur un compromis en vue de l'adoption d'un texte final. Un point crucial actuellement visé par les complices des violations de l'environnement et des droits humains, est la protection des droits des peuples autochtones et des communautés locales, y compris leurs droits fonciers coutumiers et leur droit au consentement libre, préalable et éclairé.

Les dispositions en question, ajoutées par le Parlement européen après avoir reçu un large soutien de la quasi-totalité de l'échiquier politique, étaient censées garantir que la consommation européenne des produits réglementés (cacao, soja, bois, huile de palme, et plus) ne contribuerait plus au vol et à la destruction des terres autochtones et, ainsi, renforcerait la capacité de l'UE à réduire son impact sur la déforestation et la dégradation des forêts. Toutefois, le large consensus adopté par les représentants directs des citoyens de l'UE s'est avéré plus litigieux pour les représentants des gouvernements, la Suède et la Finlande ayant activement repoussé ces améliorations. Et plus récemment, un acteur majeur de la politique européenne, le gouvernement français, a rejoint la conversation et a l'intention d'expurger le règlement de toute exigence de respect des droits collectifs des peuples autochtones et des communautés locales.   

Bien qu'il soit perçu comme une force positive pour les droits de l'homme dans l'UE, le bilan désastreux de la France en matière de droits autochtones rend cette opposition peu surprenante. En effet, la Guyane française et la Nouvelle-Calédonie abritent des peuples autochtones et des communautés locales qui, encore à ce jour, souffrent du manque de reconnaissance de leurs droits collectifs. Les questions de droits fonciers, d'autodétermination, de droit de vote, d'exploitation des ressources naturelles, ainsi que les violations des droits humains et la dégradation de l'environnement causée par l'exploitation minière ont été bien documentées. Ces problèmes ont été révélés par les peuples autochtones de Guyane dans le journal Le Monde, mais aussi signalés par le Comité des Nations Unies pour l'élimination de la discrimination raciale (CERD) dans son dernier examen de la France en 2013.  

Les problèmes affectant les peuples autochtones en France découlent tous de l'aversion du gouvernement à reconnaître leurs droits collectifs, tels que protégés par le droit international, une position que le pays a longtemps défendue malgré les appels nationaux et internationaux à la rectifier. Pour appuyer ce refus, la France a longtemps soutenu que sa constitution, et le principe d'indivisibilité du peuple français, était incompatible avec la reconnaissance des droits collectifs des peuples autochtones et des communautés locales, un argument récemment réitéré dans le dernier rapport périodique de la France au CERD. Cette approche erronée sur les peuples autochtones et les communautés locales est en défiance évidente avec le droit international, et a déjà fait l’objet d’avertissement au sein du CERD qui a recommandé au gouvernement de reconnaître ces droits.   

Il est important de noter que parallèlement à l’établissement de la non-conformité de la France au droit international sur la question, l'argument d'inconstitutionnalité derrière lequel se cache le gouvernement a également été contesté au niveau national. En effet, la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme (CNCDH), l'institution nationale française des droits de l'homme, a démenti les arguments juridiques du gouvernement dans un rapport de 2017 sur la question, déclarant que les droits collectifs sont compatibles avec la Constitution et soulignant que la position de la France était un facteur d'inégalité et de violation des droits humains. Le rapport affirmait que

 

« L’universalité des droits passe inévitablement par la reconnaissance des identités multiples et des singularités territoriales. Sans cette double reconnaissance, il n’y a ni égalité réelle, ni respect des peuples, des langues et des cultures […] la non-reconnaissance des peuples autochtones engendre des difficultés s’agissant du principe d’égalité devant la loi de tous les citoyens ». Concluant ainsi : « Le principe d’indivisibilité de la République est compatible avec la reconnaissance des droits individuels et collectifs des peuples autochtones. » 

 

Si le gouvernement français continue à protéger son manque de respect pour les droits autochtones par un argument juridique qui a déjà été réfuté, il convient de lui rappeler que cet "obstacle" peut facilement être résolu, à condition qu'il y ait une volonté politique de le faire. En effet, la Constitution française a déjà été amendée 24 fois depuis son adoption, souvent pour permettre la ratification de conventions internationales juridiquement contraignantes ou pour se conformer aux traités européens. En outre, en 1999, une révision constitutionnelle a été adoptée afin d'inscrire dans la constitution l'égal accès des femmes et des hommes au mandats électoraux. Ce ne serait donc pas une nouveauté de modifier la constitution pour mettre à jour une approche ancienne et discriminatoire concernant l'égalité et les droits humains des citoyens français.  

Aujourd'hui, la France continue d'entraver ce progrès en bloquant toute tentative dans les négociations de l'UE pour maintenir l'inclusion des droits des peuples autochtones et des communautés locales dans le règlement européen sur la déforestation. Cette opposition purement politique entrave non seulement la reconnaissance et la protection effective des communautés autochtones en France, mais met également en danger la protection des peuples des forêts dans le monde entier. Si la France refuse de s’aligner, des millions de personnes continueront à voir leurs droits fondamentaux bafoués et leurs terres détruites en toutes impunités. Les autres Etats Membres les plus influents de l’UE soutiennent cet avancement pour les engagements européens en matière de droits humains et leur consécration en une obligation légale de respecter les droits des peuples autochtones reconnus internationalement. La Commission Européenne elle-même est disposer à compromettre sur le sujet.

Seule la France continue de s'opposer à tout compromis sur la question et sera la seule responsable si l'UE rate cette occasion unique de protéger les peuples des forêts qui risquent continuellement leur vie pour protéger leurs communautés, leurs terres et leurs moyens de subsistance et s'opposer à la destruction perpétuelle de leurs forêts.

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