Skip to content

Le retour de la forteresse de la conservation : REDD et l’accaparement des terres forestières dans l’Amazone péruvien

Je me souviens de la première fois où les gardes du parc sont venus dans notre village. Ils ont convoqué une réunion et ont dit : « rassemblez vos affaires et faites vos valises, ne construisez aucune nouvelle ferme, et nous verrons où vous pourrez être réinstallés ».

Ces mots sont ceux de Miguel Ishwiza Sangama, ancien chef du village de Nuevo Lamas, une petite communauté autochtone kichwa au nord du Pérou, alors qu’il évoque le moment où, en 2007, des employés de la Zone de conservation régionale Cerro Escalera tentèrent pour la première fois de réinstaller sa communauté. Au cours des années qui suivirent, les autorités du parc poursuivirent leurs efforts, mais face à la résistance continue de la communauté, les autorités du parc recoururent restreindre l’accès de la communauté à la forêt pour la chasse et la cueillette et à l’interdiction de son système traditionnel de rotation des cultures. En 2010, une plainte a été déposée contre trois membres de la communauté pour avoir pratiqué la rotation des cultures.

Nuevo Lamas est le seul village situé sur les 132 000 ha de la Zone de conservation Cerro Escalera (créée en 2005 par le Gouvernement régional de San Martin), mais de nombreuses communautés dépendent de la réserve pour les ressources vitales de la forêt. Comme l'explique Jaime Japulima, Président de CEPKA[1], l’une des quatre fédérations autochtones représentant le peuple kichwa, « toute cette zone constitue notre territoire ancestral, pourtant la réserve a été créée sans aucune consultation ». Par conséquent, nombre de communautés sont affectées. Très récemment, une plainte a été déposée contre 8 membres de la communauté de Alto Pucalpillo pour la déforestation de 0,25 ha afin d’y installer un petit campement pour y cultiver des bananes, du maïs et des arbres fruitiers comme source d’alimentation pendant les expéditions de chasse et de cueillette. L’un des 8 membres fait le récit de son expérience :

Notre communauté ne possède pas de terre, notre titre foncier comprend uniquement nos maisons. Il s’agit de notre unique forêt, nous n’avons nulle part ailleurs où chasser et faire la cueillette à part cette zone qu’ils appellent désormais la Réserve. C’est notre terre, nous nous y rendons depuis toujours pour cueillir les plantes médicinales et chasser pour les festivals communautaires, vous pouvez constater qu'elle est pleine de traces de nos ancêtres ; il y a des anciens chemins, des palmiers plantés pour la toiture, il y a même une mine de sel ! Néanmoins, nous n’avons jamais été consultés concernant ce parc, la première fois que nous en avons entendu parler fut au moment de sa création. Aujourd’hui, si nous voulons aller dans notre forêt, nous devons d’abord demander la permission au gouvernement de San Martin !

Alto Pucalpillo est un cas typique. Alors que certaines communautés kichwa ont obtenu la reconnaissance par un titre de propriété formel d’une petite partie de leurs terres traditionnelles, beaucoup d'autres, comme Alto Pucalpillo, ne possèdent un titre que pour la zone qui entoure leurs maisons, alors que de nombreuses autres communautés n’ont même pas ce niveau élémentaire de reconnaissance. Selon une récente étude menée à San Martin, il existe au moins 32 communautés comme Alto Pucalpillo avec des titres fonciers qui couvrent uniquement leurs maisons, dont au moins 13 qui n’existent même pas officiellement.[2]

Alors que des demandes formelles de titres fonciers autochtones couvrant des zones restreintes amassent la poussière depuis des années sur les bureaux des fonctionnaires gouvernementaux, 132 000 ha ont été affectés à la Zone de conservation régionale Cerro Escalera, tout comme des centaines de milliers d'hectares ont été affectés à des concessions de conservation privées accordées à des ONG environnementales et à des sociétés privées. Rien qu’à San Martin, ces zones comprennent la plus grande concession de conservation du Pérou, les 143 928 ha de la concession de conservation Alto Huayabamba, et plus récemment trois concessions couvrant plus de 313 687 ha relatives à l’Alliance climat, communauté et biodiversité (CCBA) pour la certification d’un projet pour le marché volontaire REDD.[3]

Malheureusement, le cas de Cerro Escalera n’est pas un cas isolé. Le mois dernier, le Forest Peoples Programme faisait état[4] de la situation dans la région du Lac Imiria à Ucayali, où les communautés shipibo ont rejeté la Zone de conservation régionale Imiria établie par le gouvernement régional d’Ucayali en 2010. Les communautés ont demandé sa suspension pendant qu’un véritable processus de consentement libre, préalable et éclairé (FPIC) est mis en place. Comme pour Cerro Escalera, la zone a été créée sans consultations adéquates des communautés et ne comprend pas seulement les terres traditionnelles shipibo, mais aussi 7 communautés possédant des titres légaux. Tout comme à San Martin, la perspective des crédits de carbone semble être l’une des raisons principales à l'établissement de la réserve.

Ces cas ne sont que deux exemples parmi une multitude de cas similaires à travers le Pérou, où les terres traditionnelles des peuples autochtones ne sont pas reconnues alors que des concessions pour l’exploitation minière, le pétrole, le gaz, le bois, l’huile de palme et maintenant le carbone sont octroyées. Selon les enquêtes les plus récentes, plus de 800 communautés demeurent sans titre foncier, tandis que l’existence de plus de 200 communautés n’est même pas reconnue. Par conséquent, AIDESEP, l’organisation autochtone amazonienne nationale du Pérou, a insisté sur le fait que, tant que les demandes en suspens des peuples autochtones concernant les terres et les territoires ne seront pas respectées, REDD[5] restera une menace et non une opportunité. Malgré cela, le gouvernement péruvien[6] reste hostile à l’idée d’investir des fonds REDD pour garantir les terres et les territoires des peuples autochtones. Néanmoins, l’équipe de consultants engagée pour rédiger la stratégie du Pérou pour le Programme d'investissement pour la forêt (FIP) de la Banque mondiale a récemment affecté 7 millions de dollars au démarrage de ce processus. L’on ne sait pas encore si cela sera approuvé par le gouvernement péruvien.

Malgré les pressions subies pour leur réinstallation, Miguel et la communauté de Nuevo Lamas restent fermes :

« Nous n’irons nulle part », nous avons dit aux gardes, puis ils nous ont dit que nous devrions acheter de la nourriture puisque l’agriculture serait restreinte, alors j’ai dit à l’ingénieur, « vous devrez me donner votre salaire, ensuite je pourrai m’acheter de la nourriture ! ».

Malgré cet acte de défi, ils s'inquiètent du fait que d'autres plaintes pourraient être déposées contre les membres de la communauté pour avoir utilisé leur forêt. Pour cette raison, Miguel demande :

Nous ne sommes pas avocats, donc qui va nous défendre…?

[1] Conseil ethnique des peuples kichwa de l’Amazone, http://www.cepka.es.tl/Organizaci%F3n.htm

[2] Cette étude est menée par CIPTA, le Centre d’information et de planification d’Aidesep, sa publication est prévue pour 2013. http://www.aidesep.org.pe/cipta/

[3] Projet de bio-corridor Martin Sagrado REDD+, https://s3.amazonaws.com/CCBA/Projects/Biocarridor_Martin_Sagrado_REDD%2B_project/PDD_REDD_Martin_Sagrado_V3.0_-_PJ%5B1%5D.pdf

[4] http://www.forestpeoples.org/topics/rights-land-natural-resources/news/2012/09/shipibo-communities-peruvian-amazon-reject-impleme

[5] Programmes et projets de réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts

[6] http://www.forestpeoples.org/topics/forest-investment-programme-fip/news/2012/08/world-bank-forest-investment-programme-challenge

Overview

Resource Type:
News
Publication date:
12 October 2012
Region:
Peru
Programmes:
Climate and forest policy and finance
Partners:
Asociación Interétnica de Desarrollo de la Selva Peruana (AIDESEP)

Show cookie settings