Les différends sur l’huile de palme s’internationalisent
En avril, le Parlement européen, à une majorité importante tous partis confondus, a adopté un rapport mettant en évidence les violations des droits humains, les violations des droits des travailleurs, l’accaparement des terres et la destruction environnementale associés à la production d’huile de palme.
Le rapport critiquait en particulier la façon dont l’huile de palme, utilisée dans le biodiesel et la production d’électricité, est considérée comme un « biocarburant », alors qu’en réalité, loin d’atténuer le changement climatique, la plupart de la production d’huile de palme engendre des émissions élevées de gaz à effet de serre dues à la déforestation, à l'assèchement des tourbières, et aux feux de végétation. Selon le rapport, 46 % des importations européennes d’huile de palme sont destinés à une utilisation sous forme de biocarburants.
Dans sa présentation du rapport, le député allemand au Parlement européen Stefan Eck a résumé les coûts réels de l’huile de palme à bas prix :
« La production d’huile de palme est extrêmement nuisible pour la biodiversité et a détruit de vastes pans de forêt pluviale. De nombreuses espèces ont perdu leur habitat et sont en voie d’extinction. L’huile de palme est également néfaste pour les êtres humains, puisque l’accaparement des terres par de grandes entreprises mène les communautés autochtones à la ruine. Le prix de l’huile de palme à bas prix est payé par les personnes, les animaux et la nature ».
Tout en reconnaissant les efforts consentis par des organes tels que la Table ronde pour une huile de palme durable (RSPO) pour certifier l’huile de palme durable et les engagements de certaines grandes marques selon le slogan « pas de déforestation, pas de tourbières, pas d'exploitation », le Parlement a appelé à des normes plus strictes, à une application plus efficace, et à moins de confusion au vu de la prolifération des labels. Le rapport a suscité la colère des gouvernements indonésien et malaisien, qui ont annoncé qu’ils prévoyaient d’envoyer des missions commerciales en Europe pour défendre leur produit. Plus de 80 % de l’huile de palme échangée au niveau mondial vient de ces deux pays.
Des préoccupations similaires concernant les effets de la production d’huile de palme sur la biodiversité et l’équité sociale ont par ailleurs mené l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) à mettre sur pied un Groupe de travail sur l’huile de palme, qui débutera ses travaux en juin.
Pendant ce temps, les efforts visant à réformer la production à travers le mécanisme de plaintes de la RSPO continuent de subir plusieurs années, parfois même des décennies, de retard. À Sarawak, en Malaisie, l’entreprise IOI est toujours empêtrée dans un différend foncier de longue date avec les communautés locales dayak, dont les terres ont été prises sans leur consentement et leur ont été refusées par le gouvernement. Le leader mondial du commerce de l’huile de palme, Wilmar International, n’a toujours pas réglé un conflit foncier au Sumatra occidental, malgré le fait que l’Organe de plaintes de la RSPO a jugé que l’entreprise doit restituer la terre prise sans le consentement de la communauté kapa.
Les différends fonciers et liés aux petites exploitations agricoles entre les communautés locales dayak et la filiale PT MAS de Sime Darby, une entreprise établie à Kuala Lumpur, demeurent non résolus dans le District de Sanggau au Kalimantan occidental, en Indonésie. Six ans plus tard, les différends fonciers se poursuivent dans les activités de Golden Veroleum Limited au Liberia. Au Pérou, les efforts du peuple shipibo pour obtenir de la RSPO l’arrêt de l’accaparement des terres par Plantaciones de Pucallpa a entraîné le retrait de l’entreprise de la RSPO. En Colombie, les allégations d’accaparement des terres, de violence et d’intimidations par Poligrow, un membre de la RSPO, se poursuivent.
Par ailleurs, Golden Agri Resources, basé à Singapour, dont les projets d’expansion dans 18 concessions en Indonésie ont été gelés par le processus de plaintes de la RSPO en 2014 jusqu’à ce que les différends liés à l’accaparement des terres et à de petites exploitations agricoles soient résolus, fait toujours montre de peu d'empressement. Les progrès très lents dans les réparations accordées pour les terres prises sans procédure adéquate et dans l'attribution de petites exploitations à ceux qui ont cédé leurs terres, suscite des tensions croissantes dans les villages affectés.
En avril, le FPP et son partenaire Pusaka, avec Greenpeace et EIA, ont déposé une plainte auprès de la RSPO concernant la notification trompeuse de « Nouvelle plantation » au sujet des activités de Goodhope Asia Holdings en Papouasie. L’avis, vérifié officiellement, dissimulait un différend foncier non résolu avec la population locale et affirmait à tort qu’aucune forêt primaire n’était défrichée. Cependant, les images satellite montrent clairement que ces forêts ont déjà été défrichées sans que la RSPO ne soit informée et avant toute évaluation des effets sur l’environnement.
La plupart de ces entreprises sont des membres éminents de la RSPO et sont représentées dans le Conseil des Gouverneurs de la RSPO et ses comités. Les affaires se succèdent malgré les efforts résolus d’ONG pour obtenir de la RSPO le renforcement de la transparence, l’autorité et l’efficacité de son Organe de plaintes. Les longs retards du Secrétariat de la RSPO pour adopter des mesures suite à une résolution ferme prise par l’Assemblée générale de la RSPO en 2015 visant à adopter des procédures rigoureuses pour garantir un audit indépendant, des évaluations solides et pour superviser les procédures de « Nouvelles plantations » accroît progressivement le scepticisme des observateurs.
Marcus Colchester
Liens utiles :
http://www.guengl.eu/news/article/parliament-approves-gue-ngl-report-on-sustainable-palm-oil