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Les expériences des peuples autochtones d’Afrique en matière de politiques de sauvegarde : les exemples du Cameroun et du Bassin du Congo

Samuel Nnah Ndobe

La notion de peuple autochtone est très controversée en Afrique. Certains considèrent que tous les Africains sont des autochtones libérés des puissances coloniales, alors que d’autres soulignent simplement qu’il est très difficile de déterminer qui est autochtone en Afrique. L’établissement en 2001 par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) d’un Groupe de travail sur les populations et communautés autochtones et le rapport du Groupe soumis à la CADHP puis adopté par cette dernière en 2003 ont inscrit ce problème dans une nouvelle perspective. Il est fait état pour la première fois dans ce rapport d’une acceptation unanime de l’existence des peuples autochtones d’Afrique et cela a donné le coup d’envoi de discussions sur la façon dont les pays pourraient commencer à intégrer les droits de ces peuples dans les grandes questions en matière de droits humains. Les peuples autochtones d’Afrique centrale comprennent les peuples qui sont pour la plupart des chasseurs-cueilleurs, communément appelés les « Pygmées », ainsi que plusieurs peuples pastoralistes. Ces peuples sont encore victimes de discrimination et de mépris, qui s’expriment par la dépossession de leur terre et la destruction de leurs moyens de subsistance, de leurs cultures et identités, une pauvreté extrême, l’absence d’accès et de participation à la prise de décisions politiques et l’absence d’accès à l’éducation et aux établissements de santé.

Il existe des tendances positives relatives à la protection des droits des peuples autochtones en Afrique. La République centrafricaine a ratifié la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT) relative aux peuples autochtones et tribaux, la République du Congo a promulgué une loi spécifique sur les peuples autochtones, et le Kenya accomplit actuellement des progrès importants en matière de politiques respectant et protégeant les droits des peuples autochtones, des exemples qui illustrent tous ces tendances. De nombreux pays africains ont également voté en faveur de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (UNDRIP). Certains pays, comme le Cameroun et la République démocratique du Congo (RDC), mettent aujourd’hui également en œuvre des Plans nationaux de développement des peuples autochtones par l’intermédiaire de programmes soutenus par la Banque mondiale. Toutefois, il s’agit de tristes expériences, puisque nombre de ces programmes restent uniquement couchés sur le papier et ne sont pas traduits en actions concrètes ayant des effets réels pour les peuples autochtones.

L’UNDRIP, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et la Convention 169 de l’OIT sont quelques-uns des instruments juridiques et politiques internationaux qui reconnaissent le droit des peuples autochtones d’être consultés, de donner leur consentement libre, préalable et éclairé et de participer à la gestion des affaires publiques et à toute initiative pouvant les affecter. Tel que mentionné précédemment, le Cameroun dispose de Plans de développement des peuples autochtones (PDPA) spécifiques rattachés aux programmes de développement principaux soutenus par la Banque mondiale, tels que le Programme national de développement participatif (communément désigné par l’acronyme PNDP) et le Programme sectoriel forêt environnement (PSFE), qui a pour objectif de tenir compte des spécificités des peuples autochtones.

Toutefois, les questions clé doivent concerner la façon dont les politiques de sauvegarde sont intégrées dans les politiques et programmes, et comment elles sont mises en œuvre. Au Cameroun, la plupart des PDPA sont bien rédigés par des consultants afin de répondre aux exigences de la Banque mondiale, mais leur mise en œuvre est inadéquate, puisque les principes qu’ils protègent ne sont guère respectés. Au Cameroun, il a été attesté dans plusieurs cas que les PDPA sont mal mis en œuvre et finissent par être bien loin des principes qu’ils adoptent. RACOPY, le Réseau d’action des « Pygmées » du Cameroun, a fait état de cas dans lesquels le PDPA du PSFE était soi-disant « mis en œuvre » uniquement par la distribution d'aide : des sacs de riz et d’autres denrées alimentaires, des machettes, des houes et d'autres outils. Ces actions ont été menées sans consultation des peuples autochtones, et ces biens ont par la suite été retrouvés entre les mains des Bantu (communauté non-autochtone).

Dans de nombreux pays africains, la discrimination à l’égard des peuples autochtones est reflétée  dans les politiques et programmes formulés par l'État. Des lois et des politiques discriminatoires privent les peuples autochtones des forêts de leurs terres et ressources. Les lois foncières et les projets de développement affectant les territoires autochtones sont souvent le reflet du fait que l'État ne reconnaît pas les droits fonciers ancestraux. Le peuple autochtone de la forêt bagyeli (également appelé « pygmée ») du Cameroun a été gravement affecté par la réalisation du projet de pipeline de pétrole Tchad-Cameroun (partiellement financé par la Banque mondiale), qui traverse une partie significative de son territoire forestier, et a entrainé divers problèmes tels que la réduction des ressources forestières, des compensations inadéquates, de nouvelles formes de conflit avec les Bantu voisins et des déplacements dus à la création du Parc national Campo Ma’an. L'exécution de ce projet s'est faite en violation des politiques de sauvegarde de la Banque mondiale contre les torts causés aux peuples autochtones, tel que détaillé dans un rapport volumineux du Panel d'inspection[1].

Lors de la construction du pipeline de pétrole Tchad-Cameroun, les populations autochtones dont les terres étaient traversées par le projet n’ont eu droit à aucune compensation, puisqu’au titre de la loi foncière camerounaise de 1974, elles ne possédaient aucun titre foncier juridiquement reconnu et leurs activités traditionnelles de chasse et de cueillette ne comportaient aucun signe visible de mise en valeur des forêts et étaient donc « invisibles, sous les lois nationales injustes et dépassées.

Au titre de la politique de la Banque mondiale sur les peuples autochtones, les Baka, Bagyeli, Bakola et Bedzang, qui sont tous des chasseurs-cueilleurs autochtones du Cameroun, sont considérés comme des « peuples autochtones », et le gouvernement a reconnu et s’est approprié les Programmes de développement du peuple pygmée/autochtone du pipeline Tchad-Cameroun, du Programme national de développement participatif et du Programme sectoriel forêt environnement.

Malgré cela, au Cameroun, le terme officiel utilisé par le gouvernement pour se référer aux peuples autochtones dans des contextes qui ne sont pas relatifs aux projets de la Banque mondiale est le terme « personnes marginalisées ». Cela les associe à des groupes tels que les personnes handicapées, les personnes âgées et d’autres personnes socialement vulnérables. Cette association n’a aucun sens, puisqu'au sein des peuples autochtones se trouvent des personnes handicapées, des personnes âgées et d’autres groupes socialement vulnérables, comme dans le reste de la population. Par ailleurs, les peuples autochtones ne sont pas identifiés par leur niveau de vulnérabilité, mais plutôt par leurs relations particulières aux terres et aux ressources, et par les droits découlant de ces relations. On ne comprend pas clairement pourquoi le Cameroun ne veut pas désigner officiellement les chasseurs-cueilleurs et les éleveurs par le terme peuples autochtones, conformément à ce que font les Nations Unies.

En décembre 2005, les organisations de la société civile congolaise, notamment des représentants des peuples autochtones tributaires de la forêt, ont déposé une plainte auprès du Panel d’inspection de la Banque mondiale au sujet des effets des réformes du secteur forestier soutenues par la Banque. La plainte alléguait que le non-respect par la Banque de ses politiques de sauvegarde dans ses activités de promotion des réformes du secteur forestier, telles que le zonage forestier et le système d’octroi de concessions, serait probablement néfaste pour les peuples autochtones tributaires de la forêt. Le Panel a en effet constaté que la Banque n’avait pas respecté ses politiques de sauvegarde, notamment celles qui protègent les droits des peuples autochtones. Par ailleurs, très récemment, une étude des inspecteurs internes à la Banque, le Groupe indépendant d’évaluation (IEG), a montré que les investissements dans le secteur forestier au cours des dix dernières années ont fait très peu pour réduire la pauvreté, améliorer la conservation, s’attaquer au changement climatique ou profiter aux communautés locales dans les pays en développement (pour plus d’information à ce sujet, voir l’Article 7). Il est manifeste que l’existence des politiques de sauvegarde n’est en soi pas suffisante. Les politiques de sauvegarde doivent être financées et mises en œuvre de façon adéquate et disposer du personnel nécessaire afin d'avoir un effet sur les résultats d'un projet. La mise en œuvre des exigences de sauvegarde doit également prendre en considération les réalités politiques d’un pays donné, et soutenir et non pas limiter les droits qui y sont accordés.

Les organisations de la société civile et des peuples autochtones africaines continueront à surveiller la mise en œuvre des politiques de sauvegarde des institutions financières internationales afin de s’assurer que les droits et les terres ancestrales des peuples autochtones soient protégés.

Pour plus d’information:

La Banque africaine de développement prévoit d’introduire pour la première fois des normes en matière de peuples autochtones: http://www.forestpeoples.org/fr/topics/african-development-bank-afdb/news/2013/04/la-banque-africaine-de-developpement-prevoit-d-int

[1] http://siteresources.worldbank.org/EXTINSPECTIONPANEL/Resources/ChadInvestigationReporFinal.pdf.

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