Suriname étude de cas : Une cheffe de village autochtone devient enseignante pendant la pandémie

Cet article fait partie d'une série sur les impacts de COVID-19 sur les peuples autochtones et tribaux. Le rapport complet, "Le COVID-19 et les peuples autochtones et tribaux : impacts et inégalités sous-jacentes" qui présente 10 études de cas, dont celle-ci, est disponible ici.
Par Caroline de Jong avec l’aide de Carla Madsian et Muriel Fernandes
Déjà avant la pandémie, les enfants autochtones de l’intérieur du Suriname, en Amérique du Sud, étaient confrontés à de multiples inégalités en matière d’éducation. Au Suriname, le système d’éducation est fortement axé sur les villes et a été mis en place en fonction des écoles et des enfants de la capitale et des zones urbaines de la côte, et est appliqué sans accommodement aux écoles éloignées de l’intérieur du pays, où les enfants autochtones et marrons font face à une barrière linguistique (les leçons et le matériel sont en néerlandais) et à un programme d’études qui n’est pas adapté à leur contexte local. Ces facteurs expliquent les principales causes de leur retard en matière de réussite scolaire. [1]
On exige aux enseignants qui travaillent à l’intérieur du pays un niveau moins élevé de qualification et de formation que ceux qui travaillent dans les écoles de la ville. Les enseignants des villes sont souvent affectés temporairement dans les villages, mais ils connaissent mal la culture et les méthodes d’apprentissage autochtones. Les bâtiments scolaires et les salles de classe sont souvent rudimentaires, mal équipés et mal entretenus. Ces inégalités sont devenues douloureusement visibles au cours de la pandémie, et les enfants autochtones risquent de prendre encore plus de retard.
Muriel Fernandes, dirigeante (cheffe) du village Lokono de Casipora (Kashipuri), décrit les effets de la COVID-19 sur l’éducation des enfants de sa communauté :
« Deux semaines avant Pâques, toutes les écoles du pays ont dû fermer. Nos enfants vont à l’école primaire de la communauté voisine, à Redi Doti. Au secondaire, ils vont à Paranam ou à Paramaribo. Immédiatement après la fermeture des écoles, le personnel de l’école a créé des groupes WhatsApp pour les parents. Les enseignants y affichent les devoirs et, le lendemain, les bonnes réponses, aidant ainsi les parents à suivre les leçons avec leurs enfants. Dans notre village, beaucoup de gens ne possèdent pas de téléphone intelligent et se sentent incapables d’utiliser les groupes WhatsApp, alors j’ai rejoint tous les groupes. J’ai remarqué que les élèves qui fréquentent une école de la capitale sont plus avancés que ceux du même âge qui vont à l’école du village. Au sein du conseil du village, nous avons décidé de prendre en charge la scolarisation des élèves de la troisième à la sixième année. L’école de Redi Doti, encouragée par cette initiative, a pris en charge les niveaux 1 et 2 ».
L’enseignement à distance constitue un problème. Tous les enfants ne possèdent pas un ordinateur portable ou un téléphone intelligent avec internet et de toute façon, suivre des cours sur un téléphone intelligent n’est pas très efficace. La cheffe Fernandes a contacté Telesur, le fournisseur national de télécommunications, qui a installé un réseau Wi-Fi en deux jours, géré par le conseil du village qui ne donne le mot de passe qu’à ceux qui en ont besoin. Cela a permis de travailler sur des ordinateurs portables.
Les écoles reprendront à partir du 1er octobre 2020, mais en adaptant la méthodologie. Les écoles professionnelles pratiques ont annoncé que tous les enfants devront posséder un ordinateur, car ils iront physiquement à l’école deux jours par semaine et les trois jours restants, ils devront suivre les cours sur leur ordinateur. De nombreux parents ne peuvent se le permettre, car la majorité d’entre eux travaillent dans le secteur du tourisme et n’ont pas encaissé de revenus depuis des mois. Ils chassent et pêchent pour se nourrir, mais doivent quand même payer les frais de scolarité, les uniformes, le désinfectant pour les mains et d’autres produits d’hygiène. Dans la mesure du possible, ils reçoivent un soutien d’un fonds du village.
Muriel Fernandes précise que,
« d’autres villages font face à des défis encore plus grands. Il suffit de penser aux villages qui ne reçoivent pas l’électricité, et qui dépendent d’un générateur diesel, comme à Pikin Saron. Les enfants qui étudient à Paranam doivent prendre le bus scolaire. Et l’on doit fournir au chauffeur de l’autobus du désinfectant pour les mains, un couvre-bouche et un couvre-nez, des gants. Qu’en est-il de la sécurité des enfants ? Les autorités éducatives adoptent des mesures sans aucune communication avec les parents de l’intérieur du pays. On doit posséder une télévision ou une radio pour écouter les nouvelles et prendre connaissance des mesures prises. Sinon, il n’y a pas moyen de se tenir au courant ».
Parallèlement, la crise offre aussi des occasions. Pendant des années, les autorités traditionnelles ont plaidé en faveur d’une éducation plus adaptée à la culture des enfants autochtones, conformément à leurs droits internationaux. Au cours des derniers mois, elles ont encouragé les parents et les membres de la communauté à passer du temps avec leurs jeunes, à parler et à mettre en pratique leurs connaissances, leur langue et leurs compétences liées à la forêt et à ses ressources. « Nous avons pris en charge le travail “officiel” des écoles tous les jours de la semaine, et le samedi, nous avons organisé des cours d’apprentissage pratiques, plus étroitement liés à la vie du village, comme sur les activités de plantation », souligne Muriel Fernandes.
Overview
- Resource Type:
- News
- Publication date:
- 17 December 2020
- Region:
- Suriname
- Programmes:
- Culture and Knowledge Conservation and human rights
- Partners:
- Association of Indigenous Village Leaders in Suriname (VIDS) - Vereniging van Inheemse Dorpshoofden in Suriname