Certification des produits, droits humains et déforestation – perspectives des personnes sur le terrain

Ce blog est le premier d’une série que FPP publiera au cours des prochains mois dans le but de partager les expériences liées aux systèmes de certification qui sont vécues par les communautés et les militants sur le terrain et dont les droits sont affectés par l’agro-industrie.
La certification existe pour améliorer les injustices causées par l’agro-industrie - mais la certification n’est que le début

Norman Jiwan est un leader autochtone Dayak de Bornéo, Kalimantan occidental en Indonésie. Au cours des deux dernières décennies, il a travaillé pour les Amis de la Terre Indonésie (WALHI) Kalimantan Barat, SawitWatch et TuK INDONESIA et a participé activement à l’établissement de normes et les processus de responsabilisation au sein de la Table ronde sur l’huile de palme durable (RSPO), notamment en passant quatre ans au Conseil exécutif. Il a également participé au dépôt de nombreuses plaintes dans le cadre des procédures de la RSPO et est qualifié pour la vérification des normes de la RSPO.
FPP a parlé à Norman Jiwan de son expérience en matière de certification et a recueilli son point de vue sur leur valeur des normes de diligence raisonnable qui sont en cours d’élaboration en Europe et au Royaume-Uni.
« Pour moi, les ressources naturelles, les droits fonciers, les questions environnementales sont toutes des questions de droits humains – vous ne pouvez pas simplement parler des droits civils et politiques, comme lorsque des gens sont arrêtés. »
Norman Jiwan
« Les systèmes de certification sont essentiels, mais aussi très problématiques »
Les systèmes de certification tels que la RSPO visent à améliorer les conditions actuellement injustes auxquelles sont confrontés non seulement les peuples autochtones et les communautés locales en tant que propriétaires de terres, ressources naturelles et propriétés agraires, mais aussi les petits producteurs (qui sont souvent des personnes autochtones devenus producteurs en raison du manque de terres) ou les travailleurs / ouvriers (qui ont souvent perdu leurs terres en raison de l’expansion de l’huile de palme).
La pleine conformité avec les principes et critères (P&C) de la RSPO requiert que de nombreuses mesures importantes soient adoptés par les : une procédure établie de diligence raisonnable, mais aussi le renforcement des capacités des parties prenantes affectées, dans le but d’expliquer et de former les gens sur l’approche et leurs droits. Cependant, cela doit viser non seulement les travailleurs, le personnel et la direction, mais aussi les communautés touchées, les peuples autochtones, les femmes et les autres parties prenantes concernées par leurs opérations.
« Mais c’est là que le problème se pose : les entreprises s’engagent sur papier, sans véritablement agir par la suite pour remplir leurs obligations d’adhésion. »
Si vous appliquez les P&C de la RSPO sans faire un processus de renforcement des capacités crédible avec les parties prenantes, vous exacerberez la situation actuelle, qui est souvent injuste.
Mais pouvez-vous imaginer si une entreprise devait expliquer une par une les normes de la RSPO sur les droits fonciers, le consentement préalable et éclairé (FPIC), les acquisitions justes aux personnes mêmes qui sont en conflit avec eux? Ces personnes peut-être au début pensaient que les actions de l’entreprise n’avaient rien de mal, que leurs pertes étaient inévitables, mais alors qui commencent à comprendre que leur FPIC est compromis et que leurs droits humains ne sont pas respectés
Dans la situation actuelle les peuples autochtones, les communautés locales, les petits exploitants, les travailleurs et les femmes se trouvent en position de faiblesse. Ils ne peuvent pas facilement faire face à ces problèmes parce qu’ils n’ont pas accès à l’information, aux ressources et à la capacité de véritablement prendre part au processus de certification, ce qui permettrait que celui-ci soit efficace. C’est le gros et grave problème de la certification.
Le deuxième problème est que l’organisme de certification lui-même manque de capacité. Bien sur le papier, mais pas sur le terrain. Si les auditeurs ne disposent pas de capacités (en particulier en ce qui concerne les droits humains) et n’ont pas de relations avec les entreprises, cela devient un simple exercice pour cocher des cases, et cela n’évalue pas les performances réelles et la conformité. Si vous me demandez ce que je pense des systèmes de certification tels que la RSPO, ma grande question est la suivante: ont-ils mis en œuvre ce les normes exigent, en particulier le renforcement des capacités avec les parties prenantes? Si ce n’est pas le cas, la délivrance de certificats demeure problématique.
Il faut tout de même un processus de certification - c’est un processus d’amélioration des conditions et des situations actuellement injustes, mais un processus de certification approprié n’est que le début. Vous ne pouvez pas simplement tout laisser là, sans impliquer un processus de surveillance (contrôle et conformité) efficace.
Pour moi, les systèmes de certification sont l’un des nombreux outils qui créent un espace pour les peuples autochtones et les communautés locales, en particulier lorsque nous parlons de pays producteurs qui n’ont pas de cadre juridique solide en matière de droits humains.
Si nous comparons l’Indonésie et la Malaisie, l’Indonésie est proactive pour la ratification des conventions internationales, mais inactive lorsqu’il s’agit d’en faire des réglementations nationales. Mais cela est mieux que rien, mieux que la situation dans les pays comme la Malaisie. Les meilleures pratiques doivent également être introduites dans des contextes où les pays producteurs qui n’ont pas pris de tels engagements.
L’expérience montre que la certification a amélioré la pratique sur le terrain en Malaisie, en particulier la façon dont les petits exploitants peuvent bénéficier d’une redevance pour le tonnage d’huile de palme. Je n’aime pas l’admettre, mais Cargill a été parmi les meilleurs pour soutenir les petits exploitants. Ils reçoivent une prime pour l’huile de palme certifiée et la retransmettent aux petits exploitants. C’est ainsi qu’une initiative de certification peut encourager l’amélioration.

Exposer les lacunes du processus de la RSPO – Kalimantan occidental
L’un des premiers cas dont j’ai traité dans mon travail, au début des années 2000, était un cas d’huile de palme dans le Kalimantan occidental - PT Harapan Sawit Lestari (PT HSL). PT HSL est une filiale de Cargill, et l’affaire est toujours en cours même maintenant. Il y a des conflits fonciers historiques qui ne sont toujours pas résolus. Cela démontre certaines des limites des processus de certification. [Une étude de cas plus détaillée sur ce cas est incluse dans un rapport de 2021 copublié par FPP et co-écrit par Norman, Demanding Accountability.]
Sans doute, le plus gros et le plus important cas dans lequel j’ai été impliqué, c’est l’affaire Wilmar (voir par exemple ici et ici). Nous avons déposé des plaintes de violations des droits humains contre Wilmar auprès de la RSPO, ainsi qu’auprès de Bureau du Conseiller- médiateur pour l’application des directives (CAO) en conformité en relation avec la Société financière internationale ( SFI - un membre du Groupe de la Banque mondiale) (voir par exemple ici et ici). La SFI fournissait un financement pour le développement de l’huile de palme qui profitait à Wilmar.
À l’époque, le problème était l’accaparement et de la dépossession des terres sans CLIP et de la conduite d’opérations sans aucune évaluation des répercussions environnementales. Les droits humains comprennent l’application régulière de la loi, et les études d’impact sur l’environnement sont un élément fondamental de cet accès à la justice. Wilmar utilisait le feu pour défricher les terres, et la méthode de brûlage du défrichement des terres viole les droits des peuples autochtones à la santé et à un environnement sain. Il y avait aussi des questions de criminalisation et de conflits fonciers, et le droit à l’eau potable était également en jeu, car le creusage et le défrichement des terres causaient la sédimentation des ruisseaux et des rivières. Rétrospectivement, ce que nous n’avons pas intégré de manière adéquate dans la plainte à la Banque mondiale, ce sont des allégations d’abus spécifiques liées au genre résultant des opérations de Wilmar.
La plainte a été déposée en juillet 2007 et c’était l’une des affaires les plus importantes et les plus sérieuses jamais déposées - c’était un test décisif pour le système RSPO.
Il s’agissait de la première affaire mettant en cause des membres de la RSPO et de la première affaire ayant entraîné d’importants changements. Elle a influencé non seulement les règles de financement de la SFI, mais aussi le Groupe de la Banque mondiale dans son ensemble. À partir de ce moment, le Groupe de la Banque mondiale a accordé plus d’attention aux impacts sur les droits humains des activités financées par les membres du Groupe, et aussi porté attention aux conséquences de l’investissement et des prêts sans garanties pour les droits humains.
D’un petit groupe de 7 organisations travaillant sur la plainte, plus de 200 personnes et organisations ont fini par signer une lettre à la Banque mondiale appelant à des changements à ses règles de prêt. Cela a conduit à un moratoire de deux ans par la Banque mondiale – après qu’un audit a confirmé les conclusions du Bureau du Conseiller- médiateur pour l’application des directives (CAO) de la Banque Mondiale. Il a modifié le mécanisme de responsabilisation tant au niveau de la Banque mondiale qu’au niveau de la RSPO (qui jusque-là avait été un processus très passif). De plus, à cette époque, il n’y avait pas d’exigence particulière en matière de droits humains dans les P&C de la RSPO et cette affaire a vraiment révélé cette lacune.
« L’un des plus grands défis concerne les conflits fonciers historiques et la restitution des terres »
Les entreprises disent qu’il est vraiment compliqué de rectifier la mauvaise gestion des processus CLIP appliqués dans le passé. En réalité on ne veut pas créer de bons précédents pour la communauté et de mauvais précédents pour l’entreprise. Si des terres sont restituées, il y aura une ruée de demandes de restitution dans d’autres communautés, non seulement en Indonésie, mais de par le monde entier.
Un système de certification ne peut pas forcer les entreprises à faire quelque chose qu’elles pensent être impossible (ou fondamentalement contre leurs intérêts commerciaux) - et les entreprises ne pensent pas que la restitution des terres est réalisable. C’est l’un des plus grands défis, non seulement pour le secteur privé, mais aussi pour le gouvernement. Pour la mise en application de la diligence raisonnable, les membres de la RSPO doivent se conformer à l’ensemble des normes de certification, d’évaluation interne et des préparatifs. Toutefois, ils sont des animaux d’affaires, et au bout du compte, ils sont à la recherche d’argent.

Les systèmes de certification ont raison d’être, mais ne suffisent pas pour satisfaire aux exigences de diligence raisonnable
Un système de certification ne garantit pas le respect des droits humains. Si vous me demandez s’il y a de « bonnes » entreprises qui ont été certifiées, franchement, je ne suis pas sûr qu’il y en ait. C’est pourquoi la diligence raisonnable des entreprises en aval, proposée par exemple par la législation de l’UE et du Royaume-Uni, doit aller au-delà de la simple certification. Sinon, le processus de certification ne sera rien de plus qu’un exercice d’étiquetage et d’estampillage qui soutiendra des conditions injustes, tout enmaximisant les profits pour les sociétés d’huile de palme.
Les systèmes de certification sont un élément du processus de création de chaînes d’approvisionnement plus durables. Toutefois, si l’on veut que les programmes de diligence raisonnable des entreprises proposés par l’UE et le Royaume-Uni soient constructifs pour les peuples autochtones et les communautés locales, les entreprises doivent regarder au-delà de la certification; à la réalité de la production.
Biographie
Cette année, Norman célèbre ses 20 ans en tant que militant du mouvement des droits humains et de l’environnement en Indonésie. Au cours de sa carrière, il a travaillé avec les Amis de la Terre Indonésie Chapitre Kalimantan ouest, SawitWatch, et TuK INDONÉSIE (entre autres). Il a passé quatre ans au conseil d’administration de la RSPO (maintenant le conseil des gouverneurs) en tant que représentant des organisations sociales au conseil d’administration, avec Oxfam. Pendant ce temps, il (avec Sime Darby) a proposé puis créé un groupe de travail sur les droits humains dans le cadre de la RSPO.
Overview
- Resource Type:
- News
- Publication date:
- 31 August 2022
- Programmes:
- Culture and Knowledge Territorial Governance Global Finance Law and Policy Reform Supply Chains and Trade Conservation and human rights